Mineurs et jeux d’argent et de hasard : des pratiques à risque en progression
Le 17.02.2022
Malgré l’interdiction de vente de jeux d’argent et de hasard (JAH) aux mineurs, dans les points de vente comme sur Internet, la pratique existe. Afin d’en mesurer l’évolution, la SEDAP a conduit, avec l’appui de l’Autorité nationale des jeux (ANJ), le projet ENJEU-Mineurs[1] qui repose notamment sur une enquête quantitative menée auprès de 5 000 jeunes de 15 à 17 ans. Elle révèle que, en 2021, plus d’un tiers des jeunes mineurs interrogés sont joueurs (34,8 %). En outre, alors que la protection des mineurs constitue une priorité de santé publique, la part des jeunes joueurs problématiques est en forte progression depuis la dernière étude de 2014 et concernerait aujourd’hui 12,1 % des jeunes Français âgés de 15 à 17 ans.
Un tiers des 15-17 ans interrogés ont joué à des jeux d’argent et de hasard
Plus d’un tiers des jeunes de 15 à 17 ans (34,8 %) interrogés déclarent avoir joué au moins une fois à des jeux d’argent et de hasard au cours des douze mois précédant l’étude. Cette pratique, un peu plus marquée chez les garçons, est répandue dans tous les milieux socioculturels. Les mineurs interrogés ont, en moyenne, commencé à jouer aux jeux d’argent à 13 ans et 3 mois.
Les pratiques de jeu constatées parmi les joueurs :
- 78,4 % ont pratiqué des jeux de grattage. C’est en général avec ces jeux qu’ils débutent leur pratique. Les jeux de grattage sont privilégiés par les filles ;
- 48,4 % ont effectué des jeux de tirage ;
- 28,3 % ont misé sur des paris sportifs, avec une prédilection pour les garçons ;
- 21,5 % ont réalisé des paris sur des compétitions de e-Sports, sachant que la prise de paris sur le e-Sport est interdite en France.
- Les autres jeux pratiqués sont : les paris hippiques (17,7 %), le poker (17,1 %), et des jeux illégaux en France tels que les machines à sous (17,7 %) ou autres jeux de casinos (16,6 %) et les paris financiers (15,9 %).
- 60,1 % pratiquent plusieurs jeux.
- Un sur deux (50,1 %) utilisent Internet pour jouer.
En rapportant ces résultats à l’ensemble des jeunes Français de 15-17 ans, il apparaît qu’au cours de de l’année écoulée, plus d’un quart des mineurs ont pratiqué des jeux de grattage (27,3 % des jeunes), qu’environ un sur six a effectué des jeux de tirage (16,9 %) et près d’un sur dix des paris sportifs (9,9 %).
Une interdiction de vente qui n’est pas vraiment perçue comme un obstacle
L’accès aux jeux via un lieu physique reste largement prédominant : neuf joueurs sur dix (88,7 %) passent par un lieu de distribution physique et un sur deux (49,9 %) de manière exclusive. Toutefois, le jeu en ligne s’est fortement répandu depuis les dernières enquêtes.
Si les jeunes savent très largement (73,4 %) que la vente des jeux d’argent leur est interdite, ils ne ressentent pas cette interdiction de vente comme un obstacle. En effet, plus de la moitié déclarent qu’il leur est très ou assez facile de jouer à des cartes à gratter (53,1 %), un quart d’entre eux de participer à des tirages (24,0 %) et un sur cinq de miser sur des paris sportifs (20,0 %) chez un buraliste. Concernant le jeu en ligne, les paris sportifs sont ceux dont l’accessibilité leur semble la plus facile (25,2 %).
Un accès au jeu facilité par des parents, souvent partenaires dans l’achat et la pratique
Pour financer leur pratique, les jeunes ont recours à leur argent de poche mais aussi à la participation financière de leurs parents. Les jeunes jouent le plus souvent avec leurs parents comme partenaires (45,7 % jouent avec leur mère et 35,7 % avec leur père, devant les amis). Un quart des jeunes (23,6 %) déclarent même accéder à des jeux en ligne en utilisant le compte de leurs parents, avec leur accord. Même si sept jeunes sur dix (68,5 %) affirment que leurs parents sont au courant des risques liés aux JAH (jeux d’argent et de hasard), certains de ces adultes semblent avoir une position ambiguë dans la mesure où ils interviennent activement dans l’achat et la pratique des JAH de leurs enfants mineurs.
Une forte exposition à la publicité
Des comportements de jeu problématique en forte progression et d’ampleur variable selon les jeux
Afin de déterminer la part des mineurs rencontrant un problème avec leur activité de jeu, ENJEU-Mineurs a utilisé l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE), outil international de repérage qui différencie les pratiques de jeu sans risque ou à faible risque, du jeu problématique regroupant les pratiques à risque (modéré) ou excessives. Sur l’ensemble des joueurs déclarés lors de l’enquête, 12,9 % sont des joueurs à risque modéré et 21,9 %, des joueurs excessifs (les garçons étant plus nombreux que les filles à présenter des pratiques problématiques). Si la proportion de joueurs de 15 à 17 ans est équivalente à celle observée en 2014[1], la part des joueurs problématiques a, elle, très fortement progressé de 11,0 % à 34,8 %. En rapportant ces résultats à l’ensemble des 15-17 ans, la prévalence est estimée à 4,5 % de joueurs à risque modéré et de 7,6 % de joueurs excessifs.
La place croissante d’Internet dans le paysage des jeux d’argent, l’accroissement de l’offre et l’accès à des jeux illégaux ont pu contribuer à cette hausse. Le concept de jeux d’argent et de hasard recouvre des réalités très différentes selon la nature des jeux pratiqués. ENJEU-Mineurs permet de distinguer une typologie de joueurs aux profils d’activité contrastés allant des pratiquants aux seuls jeux de grattage aux joueurs cumulant l’ensemble des activités, y compris des jeux pour lesquels il n’existe pas d’offre légale en France (machines à sous ou jeux de casino en ligne, paris sur des compétitions e-Sports, paris financiers). L’enquête démontre que les comportements à risque des jeunes concernent peu les joueurs de tirage ou de grattage, mais reposent plutôt sur une pratique diversifiée qui concerne les jeux en ligne légaux et illégaux.
Pour Emmanuel BENOIT, Directeur général de la SEDAP : « Dans un domaine qui s’est beaucoup transformé ces 10 dernières années et où les sollicitations à jouer sont récurrentes voire omniprésentes en période d’événements sportifs, les résultats de l’étude ENJEU-Mineurs soulignent l’urgence et la nécessité d’élaborer des stratégies de prévention psychoéducatives basées sur des programmes probants et validés. La fragilité émotionnelle de l’adolescence constitue un terrain favorable à l’instauration de vulnérabilité, ainsi la protection des mineurs doit être une priorité. L’évolution des pratiques de jeu chez les mineurs sont un élément à documenter dans le temps pour effectuer des comparaisons, cette étude devra se renouveler permettant de suivre l’augmentation ou le fléchissement des pratiques. »
Pour Isabelle FALQUE-PIERROTIN, Présidente de l’ANJ : « Le jeu d’argent s’infiltre de plus en plus dans le quotidien des mineurs, relayé par la publicité et par une certaine complicité des parents. En ligne ou dans l’univers physique, combattre le jeu des mineurs est désormais un enjeu majeur de politique publique car, on le sait, plus le jeu d’argent et de hasard est précoce, plus le risque d’addiction est grand. L’ANJ est déterminée à mobiliser tous ses outils pour lutter énergiquement contre ces pratiques, y compris par les sanctions. Il faut aussi que tous les acteurs concernés se mobilisent, parents, opérateurs, réseaux sociaux et pouvoirs publics. »
L’Autorité nationale des jeux est le régulateur des jeux d’argent et de hasard autorisés en ligne, en points de vente et dans les hippodromes. Elle s’assure que les opérateurs autorisés sur le marché français respectent leurs obligations pour maintenir un jeu récréatif et protecteur des joueurs. Elle lutte contre l’offre illégale et les activités frauduleuses.
La Société d’Entraide et d’Action Psychologique (SEDAP), membre de la Fédération Addiction, a mis en place en 2014 le Pôle d’Innovation et d’Expérimentation sur le Jeu Excessif (PIEJE). Celui-ci développe des projets de recherche fondamentale et appliquée, expérimente des dispositifs d’actions et élabore des outils en faveur de la Réduction des risques et des dommages (RdRD), de la prévention et du soin dans le domaine des JAH. Son objet est d’agir contre le jeu excessif et de faire obstacle au jeu des mineurs, par exemple à travers le programme BIEN JOUER, comprendre pour mieux se contrôler, outil de prévention éducationnelle.
Rappel méthodologique : Enquête réalisée entre le 25 mai et le 25 juin 2021 en ligne par la SEDAP auprès d’un un échantillon de 5 000 jeunes âgés de 15 à 17 ans.
[2] Baromètre de Santé publique France 2014